lundi 1 juin 2015

Freud, Malaise dans la culture (1929)

L’auteur

Sigmund Freud naît en 1856 à Freiberg – ancienne Moravie aujourd'hui en République Tchèque – dans une famille juive. Il fait des études de médecine puis, diplômé en 1881, se spécialise en neurologie, sous l'influence notamment des professeurs Charcot et Bernheim.

Il crée une méthode originale de l'exploration de l'inconscient basée sur la parole cathartique – libre association des images, des souvenirs des idées permettant de décrypter les significations inconscientes de conduite ne s'expliquant pas par la logique du conscient, notamment les rêves, lapsus, oublis et symptômes névrotiques comme l'angoisse, la phobie, l'obsession. À partir de ces travaux, limités à l'origine aux hystériques, il bâtit ensuite la psychanalyse, méthode de psychologie clinique basée sur l'investigation des processus psychiques profonds, en s'appuyant en partie sur sa propre expérience. C'est ainsi que la mort de son père, survenue en 1896, lui permet de mettre en évidence le principe du refoulement.

L'ensemble de la théorie freudienne repose sur deux postulats qu'il appelle « topiques ». La première topique date de 1915. Elle se base sur une division de la vie psychique en trois instances : l'inconscient – dans lequel sont refoulées les pulsions les plus asociales – le pré-conscient – où s'expriment certaines pulsions ayant passé la barrière du refoulement comme les rêves – et le conscient – où la vie psychique s'exprime par des lapsus, des oublis, des actes manqués etc. La seconde topique date de 1920. Elle met en évidence les différents rapports entre les trois instances de la vie psychique: le « ça » – le principe de plaisir : désirs et passions – le « moi » – principe de réalité – et le « sur-moi » – les interdits de la vie sociale, la morale.

Les principales œuvres de Freud sont : L'interprétation des rêves (1900), Cinq leçons sur la psychanalyse (1910), Totem et tabou (1913) et Introduction à la psychanalyse (1916).

L’ouvrage

Sigmund Freud écrit la première édition de Malaise dans la culture – traduit aussi par Malaise dans la civilisation – en 1929. Emprunte d'optimisme, cette première édition est amendée en 1929 par Freud qui donne à la seconde version de l'essai une tonalité plus pessimiste, ce changement de ton étant lié entretemps à l'arrivée des nazis au Reichstag.

Freud présente le Malaise dans la culture comme un livre traitant « de la culture, du sentiment de culpabilité, du bonheur et d'autres choses élevées du même genre et me semble, assurément à juste titre, tout à fait superflu quand je le compare à mes travaux précédents qui procédaient toujours de quelques nécessités intérieures ».

Freud établit en effet un parallèle entre le processus de civilisation et le développement psychique individuel. Il prend à témoin l'Histoire et notamment les temps de guerre pour montrer que la guerre, comme le rêve, opère un « déshabillage moral », une levée de la censure morale qui permet un retour de toutes les pulsions agressives normalement refoulées par les contraintes et les codes sociaux.

Freud traite donc de la culture la définissant comme « la somme totale des réalisations et dispositifs par lesquels notre vie s'éloigne de celle de nos ancêtres animaux et qui servent à deux fins : la protection de l'homme contre la nature et la réglementation des hommes entre eux ». De cette définition, Freud en déduit que la culture est édifiée à partir du renoncement pulsionnel, la vie en commun supposant une restriction de la liberté individuelle. Ce respect des exigences sociales est assuré au niveau individuel par le père puis le surmoi, et au niveau collectif par la culture, qui, comme la morale et la religion, tente de légitimer et d'assurer le renoncement au plaisir égoïste. La tension entre le moi et le sur-moi, entre l'égoïsme et l'altruisme est source du sentiment de culpabilité, accru par la vie en commun.

Chapitre 1. Explication de l'origine de besoin religieux: angoisse et besoin de protection

Au début de l'ouvrage, Freud s'interroge sur le besoin de religiosité, qu'un de ses amis décrit comme « un sentiment océanique ». Il initie sa réflexion en s'interrogeant sur le rapport du moi au monde extérieur, en partant du nourrisson, qui exprime un fort besoin de protection paternelle. Ainsi, ce sont les sentiments de « désaide » infantile – Hilflôsigkeit de désir pour le père chez l'enfant et d'angoisse de l'adulte devant la puissance du destin, qui sont à la source du besoin religieux: « ce sentiment n'est pas une simple prolongation de la vie enfantine mais est conservé durablement du fait de l'angoisse devant la surpuissance du destin ».

Chapitre 2. La finalité de la vie humaine : le bonheur. Comment l'atteindre?

La vie est insupportable. La souffrance provient de trois côtés : le corps, le monde extérieur et autrui. La finalité de la vie étant le bonheur, Freud propose trois remèdes principaux : une diversion puissante pour oublier la misère ou y attacher peu d'importance – par exemple, le travail – des satisfactions substitutives qui diminuent la misère – par exemple, l'art – et enfin des stupéfiants qui nous rendent insensibles à la misère.

Néanmoins, Freud conclut à l'absence de solutions universelles – par exemple, l'homme érotique privilégie les relations à autrui, l'homme narcissique qui privilégie ses propres satisfactions et l'homme d'action son influence sur le monde extérieur – et met en garde contre les dangers d'une technique exclusive : « il y a […] de nombreuses voies qui peuvent mener au bonheur, tel qu'il est accessible à l'homme, il n'y en a aucune qui y conduise à coup sûr ».

Chapitre 3. Définition de la culture

« Sont culturelles toutes les activités et valeurs qui sont profitables à l'homme en mettant la nature à son service ou en le protégeant des autres hommes », par exemple l'utilisation du feu. Toutefois, la culture ne peut être réduite à l'utile, elle touche également à la beauté. Ainsi la propreté est-elle utile mais l'utilité n'explique-t-elle pas totalement la tendance à la propreté.

Par ailleurs, Freud met en évidence que l’hostilité à culture est une névrose – le refus du monde tel qu'il existe – et peut en partie expliquer la naissance du christianisme – qui formule la promesse d'un monde meilleur dans l'au-delà.

Chapitre 4. Les origines de la culture et les facteurs déterminant son évolution

L'amour est la base de la culture parce que la vie en commun est fondée sur l'amour dont Freud distingue deux formes : l'amour originel – homme-femme – et l'amour inhibé quant aux buts – frères-soeurs-amis.

L'amour semble dans un premier temps s'opposer à la culture : d'une part, l'amour s'oppose aux intérêts de la culture car il éloigne l'homme de la chose publique et crée une cellule, la sphère familiale, qui s'oppose à la communauté ; d'autre part, la culture menace l'amour de restrictions sensibles – par exemple, l'interdiction de l'inceste, de la zoophilie etc.

La culture se développe en deux phases : tout d'abord le totémisme, qui implique l'interdit du choix d'un objet incestueux – « le choix d'objet est réduit au sexe opposé, la plupart des satisfactions
extra-génitales sont interdites comme perversions » ; puis le tabou, la loi et la coutume.

Chapitre 5. Culture et Eros

La culture lie de manière libidinale les membres de la communauté les uns aux autres. En effet, l'autre « est si semblable à moi que je peux m'aimer moi-même en lui ». Néanmoins, il n'y a aucun intérêt à aimer l'étranger. Il est absurde et impossible d'aimer l'autre comme soi-même car l'homme est un loup pour l'homme. « L'existence de ce penchant à l'agression (...) est le facteur qui perturbe notre rapport au prochain et oblige la culture à la dépense qui est la sienne ». Freud en profite alors pour critiquer le communisme qui, en voulant supprimer la propriété ne résout pas, à son avis, le problème de la tendance humaine à l'agression.

Chapitre 6: Eros et Thanatos

Freud met en lumière les forces antagoniques habitant l'homme et qui s'affrontent dans un combat sans fin : Eros – c'est-à-dire la tendance à rassembler les êtres vivants en unités grandissantes, en liant les individus par leur libido – et Thanatos – la pulsion d'agression et de mort, qui tend à détruire l'Eros. Freud identifie la culture comme un combat vital, un processus au service de l'Eros.

Chapitre 7. La culture comme surmoi collectif, le sentiment de culpabilité

La culture, en tant qu'éducation, permet d'intérioriser l'agressivité de l'homme et de la diriger contre soi. Comme la personne est scindée entre le moi et le surmoi, deux instances qui s'opposent – le moi est soumis au surmoi représentant le père – il existe au sein de chaque individu une tension que Freud appelle « la conscience de culpabilité » et qui se manifeste chez l'homme comme un besoin de punition. Ce conflit est, de plus, attisé par la culture et la vie en communauté.

Freud s'attache à analyser ce besoin de punition et cette conscience de culpabilité. Selon lui, la personne frappée de malheur se reconnaît coupable de quelque chose, et donc, pour se punir, s'impose des pénitences. En outre, être frappé d'un malheur signifie que l'on n'est plus aimé de ses parents, et qu'il faut donc regagner leur amour en s'inclinant devant la toute-puissance paternelle. Il s'ensuit donc un renoncement aux pulsions afin de ne pas perdre l'amour de l'autorité parentale, ce qui devrait logiquement effacer le sentiment de culpabilité. Cependant, le renoncement ne suffit pas, parce que l'intention de mal agir subsiste et apparaît au surmoi, ce qui pousse à la punition.

Chapitre 8. La morale, sur-moi de la culture

Freud insiste sur le fait que le sentiment de culpabilité est le frein le plus important au développement de la culture. « Le sentiment de culpabilité n'est au fond rien d'autre qu'une variété topique de l'angoisse », il s'agit tantôt d'une angoisse consciente – la maladie – tantôt d'une angoisse inconsciente ou possibilités d'angoisse – le malaise. Les religions surviennent avec la prétention de guérir l'humanité de ce sentiment de culpabilité qu'elles appellent péché.

Chronologiquement c'est d'abord la conscience de culpabilité qui apparaît – elle existe nécessairement avant le sur-moi et donc avant la conscience morale car elle est l'expression immédiate de l'angoisse devant l'autorité externe et devant l'autorité interne, le sur-moi – puis le sur-moi puis la conscience morale. Chaque sorte de refoulement peut avoir pour conséquence un accroissement du sentiment de culpabilité car l'empêchement de la satisfaction érotique suscite un penchant à l'agression contre la personne qui trouble la satisfaction et c'est cette tendance à l'agression qui se mue en sentiment de culpabilité. Donc « si une tendance pulsionnelle succombe au refoulement, ses éléments libidinaux sont transposés en symptômes, ses composantes agressives en sentiment de culpabilité ».

Freud opère un rapprochement entre le développement de l'individu et celui de la culture. La communauté produit, elle aussi, un sur-moi, sous l'influence duquel s'effectue le développement de la culture. Ce sur-moi-de-la-culture a ses exigences qui se manifestent sous la forme de l'éthique, tentative thérapeutique, effort pour atteindre un commandement du sur-moi. Il s'agit d'écarter le plus grand obstacle à la nature, le penchant naturel à l'agression. D'où le commandement « aime ton prochain comme toi-même ». Toutefois, l'éthique se soucie trop peu du moi et il est évident pour Freud que ce commandement est impraticable – « une inflation aussi grandiose de l'amour peut seulement en abaisser la valeur ». Cette éthique, dite naturelle n'a donc ici rien à offrir si ce n'est la satisfaction narcissique d'être en droit de se considérer comme meilleur que ne sont les autres » si l'on parvient à s'y conformer.

L'éthique, qui s'appuie sur la religion fait intervenir ici ses promesses d'un au-delà meilleur. Toutefois, l'éthique prêchera en vain tant que la vertu ne trouvera pas récompense sur cette terre. Freud en est persuadé : « les jugements de valeur des hommes sont dirigés inconditionnellement par leurs souhaits de bonheur, ils sont donc une tentative pour appuyer leurs illusions par des arguments ».

Freud s'interroge alors : peut-on parler de « culture névrosée »? La réponse ne semble pas évidente car si pour la névrose individuelle le point d'appui est le contraste par lequel le malade tranche sur son entourage supposé normal, il est impossible de réaliser un diagnostic collectif considérant la normalité d'une situation de référence. En outre, de quel secours serait l'analyse la plus pertinente de la névrose sociale, puisque personne ne possède l'autorité pour imposer la thérapie de masse? ». Il semble dès lors impropre de parler de « conscience collective ».

En conclusion Freud s'interroge sur le destin de l'espèce humaine : dans quelle mesure son développement culturel réussira-t-il à se rendre maître de la perturbation apportée à la vie en commun par l'humaine pulsion d'agression et d'auto-anéantissement ? Cette question revêt un relief particulier à l'heure où les hommes dominent tellement la nature qu'ils peuvent s'exterminer les uns les autres jusqu'au dernier.

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